News

Partager sur :

[Entretien avec] - Solenne Brouard

27 juin 2024 Portrait
Vue 9 fois

Solenne Brouard Gaillot (P11), nous raconte sa passion pour l’entrepreneuriat, le Québec et les technologies environnementales.

Fondatrice de Polystyvert, une entreprise pionnière dans le recyclage de plastiques, Solenne Brouard Gaillot, diplômée de Rennes School of Business en 2004, nous raconte tout de l’aventure entrepreneuriale incroyable qu’elle a vécu pendant 12 ans : de la recherche de brevet au développement des premières usines. Elle nous livre au passage ses conseils pour entreprendre au Québec et sa vision du marché des énergies et technologies propres. Depuis mars 2024 elle s’est lancée dans un nouveau défi : aider le pionnier français du biogaz dans sa conquête du marché américain.

Peux-tu nous résumer ton parcours ?

J'ai étudié deux ans à Rennes School of Business, suivis d'une année de césure à l'usine PSA au sud de Rennes. Je suis partie au Québec pour ma dernière année dans le cadre d’un échange avec l'Université de Sherbrooke. C’était il y a 21 ans et je n’ai plus quitté ce pays depuis ! Il faut rappeler que la bulle informatique venait d’éclater et les perspectives d'emploi en France n'étaient pas prometteuses. J'ai donc démarré ma carrière chez Bombardier au Québec et ai travaillé dans l'aéronautique jusqu'en 2011, année où j'ai fondé Polystyvert.

Polystyvert est une entreprise de recyclage de plastique. Nous avons développé une technologie innovante pour recycler les plastiques styréniques en boucle fermée. Au départ, nous recyclions uniquement le polystyrène (PS), mais nous avons ensuite étendu notre technologie à l'ABS, un polymère thermoplastique utilisé notamment dans les briques Lego et les coques de téléphones. Cette diversification a été un game changer pour Polystyvert qui est aujourd’hui valorisée à 38 millions de dollars canadiens (26 millions d’euros).

Comment est née cette envie d’entrepreneuriat ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne me suis jamais sentie en sécurité dans une grande entreprise. J’avais le sentiment de manquer de contrôle sur mon travail et de dépendre de décisions prises bien au-dessus de moi. J’ai réalisé qu’il me faudrait attendre de nombreuses années pour atteindre le niveau de responsabilités qui m’intéressait. J’ai donc décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat dans le domaine qui me passionnait : la protection de l’environnement.

La naissance de Polystyvert vient d’un pari incroyable. Peux-tu nous en parler ?

"Il y a 15 ans, tout le monde parlait du défi de recycler les plastiques mais peu d’actions étaient entreprises. Je me suis renseignée longuement sur le polystyrène pour comprendre pourquoi on ne le recyclait pas. Il s’est avéré que sa purification est très difficile. Seul SONY s’était attaqué sérieusement à ce défi technique pour recycler ses emballages de produits électroniques mais la crise économique qu’a traversée le Japon a mis fin aux essais et le brevet est retombé dans le domaine public."

En 2011, j’ai choisi de reprendre ces recherches avec l’aide d’un chimiste. J’ai obtenu une première subvention de 13 000 dollars canadiens auprès de la société d'État qui gère la récupération et le recyclage au Québec. Si la première étude technique a mené à une impasse, l’étude de marché a quant à elle révélé une véritable demande sur le marché. J’ai donc monté un business plan qui m’a permis cette fois de lever près d’1 million de dollars auprès du Québec comme à l’échelle fédérale, de quoi reprendre l’étude technique. C’est finalement le Professeur Roland Côté de l’Université du Québec à Trois-Rivières qui nous a permis d’aboutir à une solution brevetable. Grâce à ce brevet j’ai pu lever 5 millions auprès d’Anges Québec et ouvrir la voie au prototypage, à une première usine : Polystyvert était né.

Quelles leçons retiens-tu de ces 12 années avec Polystyvert ?

Les actions que nous entreprenons sont importantes, mais la manière dont nous les présentons l'est encore davantage. Il est crucial d'avoir une stratégie de communication, non seulement orientée vers les clients, mais également envers nos investisseurs, nos employés et tous nos partenaires.

"Un business plan réussi repose sur la résolution efficace et rapide d'un problème, ou « pain point », pour des clients capables de financer des objectifs ambitieux. Cibler une clientèle possédant un fort potentiel économique est essentiel pour assurer le succès à long terme de l'entreprise."

Il faut cependant veiller à trouver le juste dosage entre subventions, prêts et équités pour obtenir les financements qui porteront l’entreprise vers l’avant sans toutefois en perdre le contrôle. Mieux vaut payer cher un avocat privé qui veillera à vos intérêts et vous permettra de signer une bonne convention.

De manière générale il me semble essentiel de recruter des collaborateurs de haut niveau partageant nos valeurs, même si cela implique un salaire plus élevé. Engager la mauvaise personne peut s'avérer très coûteux à long terme. Pour ma part je me suis entourée d’un CTO et d’un CFO très compétents qui nous ont permis d'atteindre nos objectifs plus rapidement et avec plus de succès.

Comment as-tu senti que c’était le moment de sortir de l’entreprise ?

Après le polystyrène, Polystyvert s’est diversifiée vers l’ABS, un plastique utilisé dans les briques Lego et les coques de téléphone. Ça a été un changement majeur qui a rendu l'entreprise rentable. Nous avons réalisé une ronde de financement pour préparer la construction d'une grande usine. Cela m'a donné l'opportunité, inattendue, de vendre mes actions et je l’ai saisie.

Une opportunité favorable de vendre ses actions ne se présente pas tous les jours. Même si vous n'êtes pas encore là où vous vouliez être, mais que vous avez parcouru un beau chemin, soyez reconnaissant et saisissez l'opportunité d'explorer de nouveaux horizons.

Quels sont tes nouveaux projets désormais ?

J'ai récemment rencontré le Président et fondateur d'une entreprise française qui se spécialise dans la purification des biogaz. Forte de sa croissance sur le marché européen, elle a décidé de s'attaquer à l'Amérique du Nord, en commençant par le Québec. Par la suite, il m'a proposé de prendre le poste de CEO Amérique du Nord pour implanter sa société outre-Atlantique. J'ai accepté cette mission avec enthousiasme car elle est en parfait accord avec mes convictions et mes valeurs.

Je crois fermement que le secteur de l'énergie est celui où il est possible d'avoir le plus grand impact sur la protection de l'environnement, étant donné que la majorité des émissions de gaz à effet de serre proviennent de ce secteur. Les biogaz contribuent directement à la réduction de ces émissions, et pour moi, il est crucial d'agir dans ce sens.

De plus, le prix du gaz est en forte augmentation, ce qui est extrêmement motivant dans un secteur où les clients sont en forte demande. Cette croissance nous permettra de créer des emplois et de favoriser un développement économique durable.

"L'alliance entre l'économie et l'écologie a toujours été une priorité pour moi, et je suis ravie de pouvoir continuer à œuvrer dans ce sens."

Le défi qui m'attend est particulièrement stimulant. Je repars de zéro, seule avec un consultant local et un marché énorme à conquérir. Mais c’est ce que j’aime dans mon travail : You have to stand up for what you believe in ! Je rêve déjà de la première usine, de son inauguration, du service qu’on va fournir, de la croissance que l’on va créer.

Quels sont les défis et opportunités qui attendent les acteurs de l'économie circulaire ?

Un grand défi pour les technologies propres est de devenir compétitives sur le plan économique par rapport aux technologies basées sur le pétrole ou d'autres énergies fossiles qui ont été optimisées depuis des décennies, voire des siècles. La transition entre ces deux types de technologies est coûteuse, ce qui rend difficile pour les principaux acteurs d'investir dans ce domaine. Bien qu'il y ait déjà des incitations gouvernementales et des réglementations en place, elles ne sont pas suffisantes. Il y a une forte résistance de la part de certains acteurs à changer de modèle.

Le recyclage, en particulier, est coûteux pour plusieurs raisons. Les coûts logistiques pour transporter les déchets vers les centres de recyclage sont élevés. La grande diversité des matériaux rend le tri difficile. Sans compter que de nombreuses personnes ne trient pas sérieusement leurs déchets car ils n’ont pas été suffisamment sensibilisés par tout ce qu’il est aujourd’hui possible de trier.

L'impact des changements climatiques est également largement sous-estimé. De nombreux acteurs ne réalisent pas l’ampleur des défis qui nous attendent et les tensions géopolitiques dues à la mondialisation relèguent la gestion des changements climatiques à l’arrière-plan.

Le secteur présente cependant de belles opportunités. L'augmentation du prix du gaz a accéléré la transition énergétique, notamment en abandonnant le gaz en tant qu'énergie fossile.

L'Asie présente une forte demande en technologies propres, ce qui stimule le développement de ce secteur économique. Mais c'est principalement en Europe qu’elles émergent. Les réglementations européennes incitent les acteurs locaux à trouver des solutions plus durables, contribuant à la montée en puissance des technologies propres. "L'exportation de ces technologies vers l'Asie et l'Amérique représente une source de croissance sur laquelle l'Europe devrait s'appuyer davantage."

Les technologies propres sont également un levier puissant pour se différencier sur le marché. À prix équivalent, les consommateurs préfèrent acheter des produits durables. Il existe même un marché pour les produits haut de gamme présentant des caractéristiques écologiques. Adopter des pratiques durables est également un véritable atout pour sa marque employeur.

Pourquoi entreprendre au Canada plutôt qu’en France ?

Au Canada, et plus largement en Amérique du Nord, la culture de l'entrepreneuriat est bien plus présente qu'en France. Il est valorisé de prendre des risques pour poursuivre ses rêves, d'expérimenter et même de se tromper et de rencontrer des échecs. Cette mentalité s'accompagne également d'une plus grande flexibilité sur le marché du travail. Bien qu'il soit plus facile de perdre son emploi, il est également plus aisé d'en retrouver un nouveau.

Cependant, il existe des différences importantes à prendre en considération. Par exemple, le rythme de travail. La loi n'accorde que deux semaines de congés payés par an au Canada, et les employés acquièrent des semaines supplémentaires en fonction de leur ancienneté au sein d'une entreprise. En revanche, peu de personnes travaillent après 17 heures, et les journées sont moins chargées qu'en France.

Sur le plan culturel toujours, les Québécois ont tendance à tutoyer facilement tout le monde. Les Français peuvent interpréter cela comme une forme de proximité ou de convivialité. Cependant, si cela est le reflet d’une certaine fluidité sociale et d’une hiérarchie plus horizontale qu’en France, il ne faudrait pas se méprendre et en déduire forcément une proximité relationnelle. A vous de prouver votre motivation et de faire vos preuves !




J'aime

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.