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[Entretien avec] - Philipe ROUCOULE

14 novembre 2025 Portrait
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Philippe Roucoule, Vice-président principal Produits dérivés EMEA chez Warner Bros. Discovery, du retail à l’univers du cinéma

Philippe Roucoule, diplômé de Rennes School of Business en 1993, a su bâtir une carrière remarquable dans le secteur des biens de consommation et du divertissement. De l'agroalimentaire à Warner Bros. Discovery, en passant par Disney, son parcours illustre sa capacité d'adaptation et son approche stratégique du changement. Aujourd’hui, en tant que Senior Vice President - Consumer Products EMEA, il orchestre le développement des produits dérivés des plus grandes franchises du cinéma et de la pop culture. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, ses valeurs et livre des conseils précieux aux diplômés d’aujourd’hui.

 

Quel souvenir gardez-vous de Rennes School of Business ?

L’école m’a offert une ouverture d’esprit que je n’aurais jamais imaginée. J’y ai notamment appris un état d’esprit très important pour la suite : être en constante exploration pour trouver l’endroit et le métier qui vous correspondent le plus. J’ai eu l’opportunité de partir en césure au Pays de Galles et j’ai tellement aimé cette expérience que j’y suis retourné dès que j’ai pu après le diplôme. Grâce à cette vision acquise à Rennes, j’ai toujours osé changer de domaine sans crainte, et cela m’a guidé tout au long de mon parcours.

 

Avant de rejoindre l’industrie du divertissement vous avez démarré votre carrière dans l’agroalimentaire. Que retenez-vous de cette expérience ?

L’agroalimentaire a été mon premier choix. C’est un secteur dynamique et exigeant où l’on apprend très rapidement. J’ai décidé de démarrer ma carrière dans le Category Management, une approche qui permet aux canaux de distributions d’optimiser leur stratégie de ventes et qui me permettait de me forger une solide expérience aussi bien en marketing, qu’en vente ou en analyse de données.

Mon passage dans la grande distribution avec The Co-operative Group puis chez Burton’s Biscuits, qui fait aujourd’hui partie du groupe Ferrero, a été une excellente école pour moi. Le secteur est cut-throat comme on dit ici, il ne laisse pas le droit à l’erreur. J’y ai appris des vraies méthodes de travail pour collaborer efficacement avec les grands distributeurs. J’ai pu évoluer au sein de différentes entreprises sans me spécialiser excessivement ce qui m’a toujours permis de saisir des opportunités en fonction des perspectives les plus intéressantes.

 

Comment s’est faite votre transition vers le secteur du divertissement ?

J’avais un parcours stable et tracé dans l’agroalimentaire, jusqu’au jour où l’un de mes contacts m’a proposé une opportunité incroyable chez Disney. Ma première réaction a été la surprise :

— Le parc ?
— Non, la division home video.

Disney avait anticipé la croissance de ce marché et recherchait des profils issus du category management et la grande distribution. J’ai tenté ma chance.

C’était une expérience fascinante : l’univers du divertissement, des jeux vidéo, d’Hollywood… c’était comme entrer dans un gigantesque magasin de jouet. Je ne connaissais pas ce secteur, mais mes compétences en retail et en category management étaient parfaitement adaptables. J’ai rapidement compris que, même dans le divertissement, la gestion des produits repose sur une planification rigoureuse et une compréhension fine des attentes du public et des clients.

J’y suis resté sept ans puis, sentant que Netflix et Amazon allait tout bouleverser, j’ai choisi d’évoluer au sein de Disney et de rejoindre la division des produits dérivés, un domaine où l’entreprise est leader mondial.

Tout a parfaitement fonctionné pour moi pendant deux ans de plus… jusqu’à une restructuration majeure. Je n’avais pas du tout anticipé cette sortie. Quand on aime son travail et que tout se passe bien, on ne voit pas toujours venir les licenciements. Mais lorsqu’une entreprise réduit ses effectifs, votre valeur ne change rien : vous n’avez pas le contrôle.

C’est à ce moment-là que j’ai pleinement réalisé l’importance de cultiver un réseau de contact varié. Heureusement, j’avais toujours entretenu mon réseau et après une courte expérience à mon propre compte c’est l’un de mes contacts qui m’a dirigé vers Warner Bros., où un poste idéal m’attendait.

Aujourd’hui, je suis Senior Vice President – Consumer Products EMEA chez Warner Bros. Discovery.

 

Vous gérez le développement des produits dérivés des plus grandes franchises de Warner Bros. Quelles sont les particularités de votre métier ?

Mon rôle est avant tout d’assurer une parfaite adéquation entre l’image des marques Warner et leurs déclinaisons produits. Chez Warner, nous ne fabriquons pas de produits nous-mêmes. Nous collaborons avec des ayants droit comme Mattel, LEGO ou Celio qui conçoivent, produisent et commercialisent les produits, en reversant des royalties à Warner.

Je veille à ce que ces partenaires créent des produits cohérents avec l’univers de nos marques et les attentes des consommateurs — qu’il s’agisse d’une montre de luxe ou d’une paire de chaussettes. C’est un métier transversal, à la croisée du marketing, du commerce, du juridique, de la finance, mais aussi du développement produit et de la création.

Ma mission est également d’anticiper l’offre de produits pour être en mesure de correspondre à la demande client. Dès le lancement d’un film, une gamme complète de produits doit être prête pour plonger le public dans nos univers. Pour nous l’année 2025 est donc déjà verrouillée, nous finalisons 2026 et commençons à travailler sur les sorties de 2027.

 

A quoi ressemble une journée type pour vous ?

Je me lève chaque matin à 6 h. Je prends 30 minutes au calme pour me préparer avant de rejoindre le bureau, à vélo (21 km) ou en transports en commun. C’est mon seul repère, car je sais que le reste de la journée sera tout sauf prévisible ! Même avec un planning structuré, les imprévus s’invitent : un partenaire en difficulté, un projet à ajuster… Mon rôle, c’est de trouver des solutions rapidement, sans céder à la panique, en m’appuyant sur notre réseau interne pour activer les bons leviers.

Les journées sont rythmées par des temps forts : réunions EMEA l’après-midi, puis échanges avec le siège de Los Angeles en soirée. Je pilote une équipe d’environ 160 personnes, mais nos projets en mobilisent souvent trois fois plus. Anticiper l’impact commercial d’un produit dérivé reste l’un des enjeux majeurs — et l’un des plus risqués.

Un exemple récent : le lancement des gammes autour de Superman. Le défi était réel : le dernier film datait de 2013, le public cible avait évolué et les films dépeignant les super héros avaient été accueillis à bras fermés durant les 5 dernières années. Nous avions aimé le film en avant-première, mais l’accueil commercial restait incertain. Nous nous sommes focalisés à lancer des produits dérivés en début d’année sur le Superman classique de la moitié du 20ème siècle, pour relancer l’attrait des fans, et avons enchainé avec les produits liés au film en Juin. Le pari s’est révélé gagnant, notamment grâce à des collaborations mondiales avec Spinmaster, Zara et SHEIN qui ont très bien fonctionnées.

Mais tous les lancements ne connaissent pas le même succès. Il arrive que des films peinent au box-office, rendant plus complexe la commercialisation des produits associés. Les séries TV offrent un peu plus de visibilité, mais elles peuvent aussi nous surprendre. Une réussite inattendue peut soudain exiger une montée en puissance rapide : sommes-nous capables de produire et de distribuer à temps ? Avons-nous les bons stocks ?

Dans ce métier, tout repose sur deux piliers : un réseau solide et une grande capacité d’adaptation.

 

Comment faites-vous pour anticiper les succès ou échecs de ces sorties cinéma ?

Face à des coûts de production qui pouvaient atteindre des centaines de millions de dollars, les studios hollywoodiens ont revu leur stratégie. Fini les paris risqués : les franchises sont devenues la norme. Elles assurent une présence continue des produits dérivés, bien au-delà des dates de sortie en salle.

Aujourd’hui, près de 80 % des produits dérivés sont planifiés des années à l’avance. Les 20 % restants permettent d’introduire de nouveaux personnages, de créer l’effet de surprise et de maintenir l’engouement. Ce dosage permet d’entretenir l’attention tout en limitant les risques commerciaux pour nos partenaires.

 

Quelles sont ces valeurs qui vous accompagnent dans votre management ?

La confiance et l’authenticité sont au cœur de tout. Dans un univers où l’on manipule des informations sensibles, préserver la confidentialité est une condition non négociable. J’ai besoin d’évoluer dans un climat sain, où la parole est fiable et les valeurs partagées.

La bienveillance est tout aussi essentielle. Un environnement de travail peut vite devenir toxique si les relations humaines sont négligées. On passe la majeure partie de nos journées au travail : un manager bienveillant fait toute la différence. Cela ne veut pas dire éviter les sujets difficiles, mais les traiter avec respect, en gardant la relation intacte. J’ai appris à dissocier le personnel du professionnel, ce qui m’a permis de traverser des situations complexes tout en maintenant d’excellents liens avec mes collègues et partenaires.

Enfin, j’accorde beaucoup d’importance à l’humilité. On ne peut pas tout savoir, et c’est justement cette capacité à apprendre, à chercher, à écouter, qui fait progresser.

 

Vous avez réussi des tournants importants dans votre carrière. Quel conseil donneriez-vous pour cultiver cette agilité ?

Je n’ai jamais eu de feuille de route à 10 ans. Ce qui m’a toujours guidé, c’est la curiosité, autant dans ma vie pro que perso. J’ai choisi des environnements où je me sentais bien, en me laissant porter par les opportunités et les rencontres. Cette posture m’a permis d’explorer différents métiers, d’anticiper certaines mutations — comme la chute du home video — et d’évoluer avec agilité dans des secteurs en constante transformation.

Mon moteur, c’est un mélange d’analyse rigoureuse et d’intuition. Pour moi, une décision solide repose sur 80 % de logique, 20 % d’instinct. C’est ce qui me permet de rester réactif sans perdre de vue mes valeurs.

Si je devais donner un conseil, ce serait celui-ci : restez curieux, sincères et humains. C’est ce qui construit un réseau solide. Peu importe le nombre de contacts : c’est leur qualité qui fait la différence. LinkedIn est un outil puissant — à condition d’être actif et pertinent — mais rien ne remplacera jamais les échanges en face-à-face. Ce sont ces rencontres, souvent informelles, qui m’ont permis d’ouvrir de nouvelles portes tout au long de mon parcours.

 

Pour finir, un mot sur la Grande-Bretagne ?

C’est la musique qui m’a conduit en premier vers la culture britannique. Dans les années 90, la scène était incroyable. Je suis venu ici pour vivre ça, j’ai habité à Manchester, puis à Londres depuis 25 ans, et je peux dire que je n’ai jamais été déçu. Je découvre chaque semaine de nouveaux artistes — comme hier soir lors du concert The Bug Club. Bien que je n’aie pas encore la nationalité britannique, je me sens parfaitement à ma place ici.

Depuis le Brexit, il est plus difficile pour les étrangers d’obtenir un permis de travail, mais le marché reste très dynamique et la culture anglo-saxonne favorise une mobilité professionnelle plus souple qu’en France. On change facilement de secteur ou d’entreprise, souvent tous les deux ans. Le diplôme compte au départ, mais très vite, ce sont les soft skills qui prennent le dessus. Je dirais qu’à 99 %, c’est l’adéquation culturelle qui fait la différence.

Avec le recul, je crois que c’est justement cet état d’esprit de curiosité qui a trouvé un vrai écho ici — et qui m’a permis de m’épanouir pleinement dans cette culture.




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